Les doutes sur le règne de la justice humaine, Pascal - Extrait et questions

Modifié par Estelledurand

Le texte extrait des Pensées (1669) de Pascal, "Justice Force" soumet au doute la capacité de l'humanité, et donc aussi de l'État, à faire régner la justice par sa seule raison, comme le voulait la tradition philosophique depuis Platon et Aristote.


Extrait :

Justice force.
Il est juste que ce qui est juste soit suivi. Il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.
La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.
La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste.
Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. 

Blaise PASCAL, Pensées (1670), Pensée 298, Le Livre de Poche, 1972, p. 145.


Questions :

1. Montrez que Pascal se garde bien de confondre la nature de la justice avec la nature de la force, même s'il pose ensuite le problème de leur accord et de leur identification.

2. Selon l'argumentation de Pascal, pourquoi la justice n'est-elle pas, par elle seule, un bien, ou même le bien suprême, irrésistiblement désiré par tout être humain, soit en son âme, soit lorsqu'il vit en société ?

3. "La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée." : analysez en quoi, selon Pascal, l'humanité est ou non capable de justice, qu'il s'agisse d'une connaissance de l'idée de justice, ou de la vertu de justice dans la conduite.

4. "Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort" : en quoi cette première branche de l'alternative posée par Pascal pourrait-elle correspondre à la Cité idéale de Platon ?

5. "La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute" : expliquez cette asymétrie entre justice et force, en vous référant à la philosophie, à l'histoire, à la culture, ou même simplement à l'expérience commune. Vous pouvez utiliser aussi, par exemple, vos analyses du film L'Homme qui tua Liberty Valance

6. "On n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste". Cherchez des exemples historiques de situations dans lesquelles un pouvoir, qui détenait la force, s'est exercé au détriment de la justice. Pensez par exemple à des procès dans lesquels des individus, pourtant considérés comme des modèles de justice, ont été condamnés.

7. "Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste" :

a) "[...] on a fait que" : expliquez en quoi il ne s'agit pas seulement, dans cette conclusion, de s'incliner devant la domination du plus fort, mais aussi d'établir sa légitimité de façon conventionnelle.

b) D'après cette conclusion, qu'est-ce qui peut distinguer la légitimité du règne de l'État, d'un côté, de celle du chef d'une bande de brigands, de l'autre ?

c) Supposons que l'État soit la plus grande force dans l'histoire humaine, et qu'il soit seulement assimilé par une fiction à la véritable justice, dont il reproduirait au mieux certains effets : la justice, la paix, l'ordre et la prospérité. Quels sont les mérites et les limites d'une telle solution ?

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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